Chronique : Il faut qu’on parle de Kevin de Lionel Shriver

Il y a les livres de fiction que nous lisons d’un œil amusé, le soir dans notre lit, en pensant déjà à la nuit récupératrice que nous allons passer (pour peu que le petit ne fasse pas ses dents).

Il y a également les romans qui restent avec nous une fois refermés. Ceux qui nous tiennent éveillés un peu plus longtemps, car ils nous poussent à vouloir comprendre ; à revivre les scènes, non pas pour deviner la suite, mais pour savoir ce que nous ferions, nous, dans une telle situation.

Si je fais cette distinction c’est parce que, vous vous en doutez, je classe « Il faut qu’on parle de Kevin » dans la deuxième catégorie (bien que je n’ai absolument rien contre la première).

Édité chez J’ai Lu (format poche), « Il faut qu’on parle de Kevin » est le septième roman de Lionel Shriver. Roman pour lequel elle a reçu le prestigieux Orange Prize en 2005. Le livre est adapté au cinéma en 2011 par Lynne Ramsay. Je profite donc de l’opportunité pour rendre une double chronique : celle du livre et celle du film.

Bio de Lionel Shriver

Lionel Shriver, née Margaret Ann Shriver le 18 mai 1957 à Gastonia en Caroline du Nord, est une femme de lettres et journaliste américaine.

Élevée dans une famille dominée par les valeurs religieuses importantes (son père était pasteur presbytérien), elle changea de prénom à l’âge de 15 ans, forte de sa conviction selon laquelle les hommes avaient la vie plus facile que les femmes. Lionel Shriver a fait ses études au collège Barnard ainsi qu’à l’Université Columbia. Elle vécut ensuite à Nairobi, Bangkok et Belfast avant de s’installer à Londres.

Lionel Shriver est l’auteure de neuf romans.

Source : Wikipédia

4e de couverture

La veille de ses seize ans, Kevin se livre à un massacre sanglant dans son lycée. Détruite par ce drame, Eva, sa mère, entame avec son époux une correspondance poignante pour comprendre cet enfant qui, depuis sa naissance, s’acharne à faire le mal. Des humiliations imposées à sa sœur aux cruautés infligées à ses camarades, elle retrace l’itinéraire meurtrier de son fils.

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Mon avis sur le livre

D’abord, pour couper court à tout suspens : il ne faut pas passer du temps avec Kevin ou Eva Katchadourian en espérant une grosse poilade décomplexée. Je déconseille donc ce roman à toutes les personnes dépressives, celles qui souhaitent une lecture légère ou celles ayant des doutes sur leurs envies de procréation. Car Kevin est, à lui seul, une véritable campagne de pub pour la vasectomie.

En revanche, les amateurs de drames familiaux et d’écriture élégante seront aux anges. Shriver nous livre un scénario connu sous tous les angles puisqu’il fait malheureusement la une de la presse internationale de façon régulière, mais elle le fait sous un angle inhabituel.

Le point de vue tout d’abord

Il est aussi ambitieux que dangereux, car tout le récit est tenu par la mère de Kevin. On pourrait craindre une tendance à dériver sur le pathos et une culpabilité facile, mais Shriver ne s’approche à aucun moment du moindre cliché. À vrai dire, la psychologie de chaque personnage est si fouillée et complexe, que j’ai parfois eu le sentiment que le roman était, partiellement du moins, autobiographique.

Ce sont donc des personnages très crédibles et multidimensionnels qui nous embarquent avec eux dans leurs vies, leurs doutes, leurs peurs et leur peine. Une chance car c’est sur la psychologie des personnages que repose 90% du roman.

Le style épistolaire, ensuite

Cette technique est loin d’être accessible à tous. Pas de longue description, pas de saut dans le temps et l’espace, mais une place immense laissée aux réflexions et aux souvenirs d’Eva Katchadourian.

Eva nous livre ses souvenirs sur Kevin avec toute la subjectivité d’une femme qui ne voulait pas d’enfant au départ, trop contente de profiter de sa bulle de bonheur avec son mari aimant. Elle fait également part de son regret d’avoir mis sa carrière professionnelle entre parenthèses pour s’occuper d’un fils qui, dès la naissance (elle en est persuadée), montrait déjà des signes de rejet à son égard et une cruauté instinctive.

Elle partage son opinion sur des phénomènes de société et sur le mode de vie américain qu’elle observe, un peu dédaigneusement, de son point de vue d’immigrante arménienne. J’ai été, au fil des pages, saisi d’un certain mépris pour Eva, son égocentrisme et son intellectualisme pompeux, puis je l’ai prise en pitié tant je la voyais désarmée et seule face à un fils aussi sournois que cruel.

Enfin, le dénouement est aussi bouleversant que renversant.

L’approche, enfin

Le Point a qualifié ce livre de « plus percutant qu’une leçon de pédopsychiatrie ». Je ne sais pas qui a écrit ceci, mais je ne suis pas d’accord sur l’aspect pédopsychiatrie (même si je valide l’aspect percutant).

D’après moi, le livre nous en dit bien plus sur la psychologie des parents et la place qu’ils occupent dans la vie de leurs enfants que sur ces derniers. Quand elle nous parle de Kevin et de sa sœur, leur mère nous en révèle bien plus sur sa propre personnalité que sur celle de ses enfants.

Les questions qui subsistent sont donc Quelle est la part de vrai dans son récit ? Où s’arrête la subjectivité d’Eva et où commence la cruelle réalité ? Et surtout, est-ce Kevin qui a rejeté sa mère dès la naissance… ou le contraire ? Vers quoi les grandes capacités intellectuelles de Kevin l’auraient-elles menée si sa mère avait fait preuve, à défaut d’amour, d’un minimum de sincérité ? Le même destin sanglant ? Autre chose ?

 

Les enfants ont des radars précis pour distinguer entre un adulte intéressé et un adulte qui veut à tout prix paraître intéressé. Toutes les fois où je me suis penchée sur Kevin, après le jardin d’enfants, pour lui demander ce qu’il avait fait ce jour-là, même à cinq ans, il savait que je m’en fichais complètement.

Un livre qui amène bon nombre de réflexions, donc.

On peut lui reprocher un démarrage un peu lent, mais le rythme s’accélère à la naissance de Kevin et à chaque fois qu’on découvre, horrifié, l’étendue du désastre qui attend cette famille.

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Mon avis sur le film

Lorsque je compare un film au livre dont il est tiré, la balance penche en faveur du livre dans 99,99 % des cas. Je suis un amoureux du cinéma, mais jamais 120 minutes d’images n’égaleront pour moi les centaines de milliers de mots qui permettent l’immersion totale dans une histoire et dans la psychologie d’un personnage.

Au mieux le film est fidèle et suffisamment bien réalisé et interprété pour rendre hommage au roman (ex. : « La ligne verte » de Franck Darabont), au pire il s’inspire vaguement de l’idée de départ et tente de surfer sur le succès littéraire. Cela se finit souvent par une bouse infâme qui ne mérite même pas d’être citée (non, n’insistez pas, je ne donnerai pas de nom).

« Il faut qu’on parle de Kevin » est une adaptation fidèle dont Nikolaj Arcel aurait pu s’inspirer avant de déféquer son adaptation de « La Tour Sombre » (Oups ! Je l’ai dit).

S’il y a un reproche qu’on ne peut pas faire à Lynne Ramsay, c’est d’avoir trahi le roman. Même si tout n’est pas retranscrit à l’écran (ça ne l’est jamais) et que certains détails sont changés à la marge, on sent une volonté de respecter l’oeuvre. Pour cela, le réalisateur retranscrit les questionnements et les tourments d’Eva à travers de longues séquences magnifiquement jouées par Tilda Swinton… et en fait, c’est là tout le problème du film.

Plutôt que de nous montrer les personnages agir dans leur contexte et leur environnement, le spectateur est abreuvé de loooongues scènes mêlant allégories, métaphores et images poétiques sur fond musical. Ceci à tel point que je me suis plusieurs fois posé la question : « Est-ce qu’une personne qui n’a pas lu le livre serait en mesure de comprendre ce qu’il se passe ? », et je n’en suis pas entièrement convaincu.

Si je n’avais pas lu le roman en préalable, j’ignore si j’aurai dépassé les 30 premières minutes du film, et ce malgré une interprétation irréprochable.

En conclusion

« Il faut qu’on parle de Kevin » est un livre à lire, sans aucun doute. Percutant, puissant, il atteint parfaitement le but ultime d’un livre qui est de donner de la perspective au lecteur et une opportunité au questionnement. Réussir cela sur un sujet de société dont beaucoup pensent déjà tout savoir est un tour de force qui mérite amplement les récompenses reçues.

Quant au film, je le conseille uniquement si vous avez déjà lu le livre, ne serait-ce que pour le jeu d’acteur qui vaut le détour.

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